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Titre du blog : Trucs inutiles pour briller en société !
Auteur : je-suis-intelligent
Date de création : 08-09-2007
 
posté le 04-05-2012 à 01:22:31

L'Anaphore: de Zola à Hollande en passant par Fillon

 

 

 

 

 

 

 

Ok, j'avoue, j'avais dit hier que je ne me lançais pas dans l'analyse de la rhétorique des candidats, mais là je n'ai pas pu m'empêcher de souligner cette figure de style tellement savoureuse...

 

 

Parce que celle-là deviendra sans doute une référence sur les sites de français, peut-être même ceux  d'histoire, sait-on jamais...

 

 

Remise dans le contexte:

 

2 avril 2012, débat présidentiel de l'entre deux tours, moment attendu par les français malgré le peu d'impact qu'elle a en général sur les votes des candidats. Celui d'hier était dans l'ensemble très fade sans rêve ou véritable vision nouvelle. Bon soit, j'avoue que les chiffres, manipulation et l'auto-satisfaction du président sortant (et sans doute bientôt sorti) m'ont arraché quelques rires, mais bon, se féliciter d'avoir supprimer la formation des profs et penser que les conditions de scolarisation vont s'améliorer avec moins de profs qui seront mieux payés, il fallait quand même oser (surtout en inversant les chiffres de l'OCDE sur l'encadrement scolaire).

 

Donc, dans un débat houleux aux vertus soporifiques, on demande aux candidats quel président il serait...

Et là on se régale...

 

 

Une anaphore, c'est quoi ?

 

L'anaphore est une figure de style. Elle consiste à reprendre en boucle un terme ou une expression en début de proposition, de phrase, de vers, de strophe ou de paragraphe.

 

Exemple dans Horace, une pièce de Corneille:

 

Rome, l'unique objet de mon ressentiment !
Rome, à qui vient ton bras d'immoler mon amant !
Rome qui t'a vu naître, et que ton cœur adore !
Rome enfin que je hais parce qu'elle t'honore !

 

C'est joli à l'oreille, ça entonne un rythme, c'est chantant et c'est donc un effet que l'on retrouve souvent en poésie. Pourtant, l'anaphore a d'abord été utilisé par les orateurs, elle est même l'une des plus anciennes de la rhétorique. L'anaphore permet ainsi d'insister sur un point précis et notamment convaincre. Elle est donc très utilisé en politique.

Néanmoins, ces effets dépendent de l'intention de l'orateur: surprise, énumération, symétrie des vers en poésie, litanie dans le discours religieux (Sermon de la montagne de Saint Matthieu avec l'exclamation « Heureux » répétée neuf fois ou le I have a dream de Martin Luther King), la colère comme dans "J'accuse" qui souligne une injustice, mélancolie, tristesse, amour en poésie etc...

 

Parce que l'homme devient sa pensée, la répétition d'une idée influe sur l'être. A force de répéter un mot, ce mot s'ancrera dans l'esprit de l'individu pour finalement influer sur son existence. C'est le principe de la propagande. Une idée répété mainte et mainte fois apparaitra comme vrai pour l’individu. Ce procédé est utilisé pour la publicité par exemple.

Je vous en ai mis une quand même, bien que je déteste ces techniques d'asservissement du cerveau humain.

 

 


UPC - impossible par ulfablabla
UPC - impossible par ulfablabla
 

 

L'anaphore est une figure traduisible dans d'autres arts :

  • au cinéma, c'est la reprise de la même image ou même scène, proche du déjà-vu
  • en musique, ce sont des accords répétés, ou un refrain vocal
  • en peinture, ce sont des copié-collé d'un même détail ou d'une couleur, dans un effet de symétrie par exemple
  • au théâtre, dans le comique de répétition par exemple 

 

L'une des plus étudiée en histoire est celle d'Emile Zola.

« J’accuse… ! » est une surprise pour les contemporains, surpris de lire une telle violence, un engagement aussi clair, sans aucune équivoque, mais aussi une telle exposition au danger, sous la plume d'un écrivain jusqu'ici rangé, estimé et tranquille. Zola proclame dès le début l'innocence de Dreyfus :

« Mon devoir est de parler, je ne veux pas être complice. Mes nuits seraient hantées par le spectre de l'innocent qui expie là-bas, dans la plus affreuse des tortures, un crime qu'il n'a pas commis. »

 

Mais ce faisant, il inverse les rôles, et de celui d'avocat, il endosse l'habit du procureur, d'accusateur public. Très agressif, le texte se veut une attaque des acteurs militaires de l'affaire.

 

"  J'accuse le lieutenant-colonel du Paty de Clam d'avoir été l'ouvrier diabolique de l'erreur judiciaire [...]
J'accuse le général Mercier de s'être rendu complice, tout au moins par faiblesse d'esprit, d'une des plus grandes iniquités du siècle.

J'accuse le général Billot [...]"

 

Mais revenons à nos moutons...

 

 La diatribe de Zola a été reprise le 16 mars par... François Fillon à l'encontre du candidat socialiste, néanmoins, ce discours n'a pas eu la même portée (dans son article Zola avait utilisé l'anaphore 9 fois, Fillon seulement trois fois, pas assez pour passer à la postérité, noter que le l' change aussi légèrement la donne...)

 

"J'accuse le candidat socialiste d'avoir délibérément choisi de renoncer à réduire le déficit. Je l'accuse de ne pas vouloir baisser les dépenses de l'État par peur de déplaire. Je l'accuse d'avoir renoncé à respecter les engagements européens de la France."

 

François Hollande l'utilisera à 16 reprises dans une forme intéressante...

 

 

Pourquoi on se souviendra de cette anaphore ?

 

1- La formule "Moi Président de la République, je"

Elle exprime clairement un futur proche et Hollande se donne ici une stature présidentielle (rien que ça), une forme de Surmoi sociétale qui énonce les vérités. Français, Française, la plus haute fonction de l'état vous parle, cette formule fraîche et étonnante réveille l'oreille de l'auditeur endormi...

 

2- L'utilisation de l'anaphore et de son effet de répétition. Ancrer dans l'esprit de l'individu l'idée d'un François Hollande, lui donner de la légitimité et au final influer sur son vote.

 

3- François Hollande utilise dans son discours une seconde figure de style, la litote.

La litote consiste à dire le moins pour exprimer le plus. Elle est toujours construite à l'aide d'une négation. C'est une figure rhétorique qui consiste à déguiser sa pensée de façon à la faire deviner dans toute sa force. Le message est amplifié, prend une valeur beaucoup plus forte que si le message avait été prononcé de façon direct.

 

Moi, président de la République, je ne traiterai pas mon Premier ministre de collaborateur.
Moi, président de la République, je ne participerai pas à des collectes de fond pour mon propre parti dans un hôtel parisien.
Moi, président de la République, je ferai fonctionner la justice de manière indépendante [...]
Moi, président de la République, je n’aurai pas la prétention de nommer les présidents des chaînes publiques [...]
Moi, président de la République, je ferai en sorte que mon comportement soit à chaque instant exemplaire.

 

Ici, elle a une double fonction, d'un, elle incarne la rupture entre les deux candidats avec un écart aussi large que le grand canyon. De deux, elle attaque le président sortant en pointant toutes les plus grandes erreurs du quinquennat qui prend ici des airs de dictature. C'est là qu'au final ce discours me fait beaucoup penser au "J'accuse" de Zola dans une forme plus cinglante encore.

Elle montre aussi clairement la voie que compte prendre François Hollande s'il est élu.

 

Voilà, voilà, sur ce, bonne nuit et n'oubliez pas de voter dimanche ^^

 

Swyrg

 

 

 

 

 

 

 

Commentaires

Johnmandrake666 le 11-05-2012 à 00:35:36
Hé hé hé, excellent !